Gertrud : Einar Schleef
Création discographique / édition Le ver à soie
Au début, un projet de traduction. Et pour Crista Mittelsteiner et Marie Luce Bonfanti ce fut un défi que de se confronter à ce qui était apparu pour beaucoup une entreprise teintée d’utopie……
Exact contemporain de Rainer Werner Fassbinder, Einar Schleef porte comme lui la fracture d’un pays qui a nourri et peut être exalté leur personnalité hors norme ; le premier à l’ouest et le second à l’est – même si il est passé dans « le camp d’en face » où il a produit ses œuvres théâtrales majeures – tous deux semblent, avec le recul du temps, avoir affronté un destin étrangement similaire.
Leurs oeuvres, inclassables, constituent autant de références de l’art où s’exprime leur extraordinaire imaginaire, accompagné d’une maitrise consommée de leur métier qui dans le cas de Einar Schleef induit un profond et opiniâtre travail de recherche – linguistique, historique, sociologique – en préalable et tout au long d’une entreprise de traduction.
Ils font parti de ces créateurs qui marquent leur temps mais qui, en météores, ne peuvent être revendiqués comme modèles par la génération suivante.
Acteur, peintre, photographe, dramaturge, écrivain, auteur de théâtre, mélomane cultivé épris de la l’oeuvre de Jean Sébastien Bach, Einar Schleef mêle dans ses œuvres l’ensemble de ces sensibilités dont sa langue porte les signes.
Gertrud, roman sur « la Mère », est un texte d’une extraordinaire complexité
par sa forme même, sa « composition » aux thématiques croisées, la densité de sa langue qui mêle à l’Allemand littéraire des éléments d’idiomes régionaux en une syntaxe dont il déploie l’arborescence avec un art consommé de la variation.
Après la traduction, est ensuite venu le temps de la structure dramaturgique, organisée par Élisabeth Gutjahr autour de thématiques du roman où sont venues se fixer des éléments du texte « orchestré » pour six voix de femmes et mêlant en un contrepoint subtil l’Allemand au Français de la traduction.
Enfin, après une résidence de travail où se sont effectués les enregistrements des six actrices dans différents espaces acoustiques, il a fallu composer.
La réalisation doit beaucoup à l’esthétique de Hörspiel mais pas seulement.
Il m’a rapidement semblé que le chœur parlé à six voix tel que l’a structuré Élisabeth Gutjahr, par l’expression même de sa musicalité, appelait l’écriture de fragments instrumentaux, à la fois pour établir un nécessaire principe de continuité et en structurer la forme.
Dans cette pièce, clarinette, saxophone, orgue de barbarie, orgue, percussions, guitares électrique constituent alors autant d’éléments d’une orchestration qui intègre à l’ensemble des six voix des sons urbains, des espaces acoustiques naturels, des rythmiques de machines, en autant d’espaces acoustiques d’un quotidien possible.
Ainsi ai je tenté, par le principe choisi de la variation continue, une traduction organique qui ne commente pas, n’illustre pas le texte mais, un peu comme un concerto grosso, intègre le Concertino des six voix dans un ensemble où peut se lire la rumeur du monde, le Cymbalum Mundi, Ripieno de l’ineffable imaginaire d’un auteur comme Einar Schleef.